La troisième édition du FESTIVAL DU DISQUE – festival organisé par HIÉRO COLMAR –, a pris fin ce dimanche 19 octobre avec une bourse aux disques qui s’est tenue au Grillen. Pour l’occasion, voici un texte consacré justement à l’amour du vinyle.

Acheter un disque est un acte d’amour. Cette affirmation semble folle à l’heure de la dématérialisation – comme ils disent – de la musique ; à l’heure de la soi-disant gratuité des objets culturels ; à l’heure donc de la musique en ligne, des plateformes, du streaming – Spotify, Deezer et compagnie. Oui, acheter un disque reste un acte d’amour, même s’il est difficile de s’en convaincre face à une industrie musicale plus cupide que jamais, qui joue sur la nostalgie de ceux qui avaient dix-sept ans dans les années 60, 70 ou 80 ; et qui aujourd’hui ont quelques moyens pour s’approprier ou se réapproprier – physiquement – leurs premiers émois musicaux. D’où ces rééditions en pagaille ; ces 33-tours à tirage limité, vendus soixante euros lors du Disquaire Day ; ces coffrets à plus de trois-cents dollars d’artistes disparus depuis x années ; et ces prix délirants sur Discogs.

Mais acheter un disque reste, malgré tout, un acte d’amour ; et de résistance face aux AirPods et autres produits hautement technologiques ; qui oublient cette évidence, que la musique est avant tout une affaire de vibrations ; et que comme toute vibration, elle a besoin d’air, pour se propager et faire vibrer notre cœur ; et ne pas s’adresser uniquement à notre cerveau, à travers des casques qui nous coupent des bruits du monde et donc de la vie ; ces casques, qui ne cessent de coloniser nos oreilles, tristement soumises à ces fameux algorithmes qui nous enferment sur nous-mêmes. Sans oublier cette autre évidence, que la musique est faite pour se partager, non seulement sur des plateformes numériques, mais aussi dans un même espace de vie, entre des hommes et des femmes qui s’aiment.

C’est pourquoi je persiste : acheter un disque est bel et bien un acte d’amour, un engagement même, qui nécessite un effort de notre part, un effort sonnant et trébuchant, pour permettre aux musiciens de toucher quelques euros dignement gagnés. Un effort mais aussi l’affirmation d’un choix, face à la multitude des propositions de peu d’intérêt, vites reléguées aux oubliettes. Sans compter l’effort physique que cela demande, de sortir de chez soi, pour aller bêtement chez un disquaire ou dans une bourse aux disques.

Cet effort physique qui parfois nous mène à la joie. La joie de trouver,  d’avoir enfin cet album tant désiré, de cet artiste que l’on aime tant. Ce disque que l’on cherche parfois depuis des années. Avec quelle fébrilité alors, le cœur battant la chamade, on sort ce disque qu’on paye furtivement, comme si c’était un acte interdit ; heureux que personne n’ait eu la mauvaise idée de s’en emparer avant. Avec la crainte irrationnelle que quelqu’un vous l’arrache des mains. Alors on le met, ce trésor, dans ce vieux sac qui en a vu passer des vinyles, pour le cacher aux regards des autres, et le ramener chez soi.

Chez soi… où cela commence par l’épluchage de la pochette ; les infos précieuses qui s’y trouvent (les photos, les titres des morceaux, leurs auteurs, le nom du label…) ; toutes ces infos que l’on scrute attentivement en tournant et retournant cette pochette en carton, que l’on mettra ensuite dans une pochette en plastique pour la protéger. Mais avant, il s’agit de sortir le disque, doublement caché dans cette pochette en carton et l’autre en papier. Et de le faire enfin apparaître, avec des gestes mille fois répétés, en le prenant délicatement d’une main, le pouce et le majeur écartés, pour éviter de toucher ses sillons qui doivent rester purs de toutes traces de doigts. Pour le poser, avec les deux mains cette fois-ci, sur la platine, en faisant attention à bien viser, pour que le trou en son milieu rentre exactement dans l’axe, quitte parfois à forcer un peu pour qu’il soit parfaitement à plat sur la feutrine. Et c’est seulement, ces opérations faites, qu’on le fait tourner, ce disque tant désiré, pour ensuite, après un dernier coup de brosse, actionner le bras de notre platine – parfaitement à plat elle aussi –, afin de l’abaisser sur son bord – le bord du vinyle –, et offrir ce diamant, si chèrement payé, à ses sillons qui font entendre quelques craquements et enfin… enfin le son vibrant, la musique qui soudain emplit tout l’espace, nous enveloppe…

La musique… la soul, le hard, la funk, l’EBM ou le reggae… avec leurs rythmes syncopés ou langoureux, leurs basses chaloupées ou leurs synthés répétitifs, leurs guitares mordantes ou caressantes, et toutes ces voix, ces voix qui vous crient ou nous susurrent : « All You Need Is Love », « Killing Me Softly With This Song » ou encore « You Shook Me All Night Long »…

Oui, encore et toujours, acheter un disque est un acte d’amour… et même une quête sans fin, obsessionnelle, aux allures de drogue dure, où plus rien ne compte, si ce n’est de trouver l’avant dernier disque rêvé – pour compléter sa collection –, et surtout pas le dernier, qui signerait la fin de cette quête, et donc de cette vie consacrée pleinement à l’amour de la musique…

Bourse aux disques (Hiéro Colmar)