« Nous ne connaissons pas de buts, Et ne sommes qu’une marche. »

Martin Heidegger – En chemin

Le « pèlerinage de Todtnauberg »

Le 10 mai 2024, nous avons fait nous aussi le « pèlerinage », nous sommes allés à la recherche du chalet de Martin Heidegger à Todtnauberg, en Fôret-Noire, au sud de Fribourg-en-Brisgau. Ce modeste chalet à l’écart – encore en parfait état aujourd’hui –, cette cabane (Hütte), comme le philosophe allemand aimait l’appeler, lui était un refuge, où il pouvait apprécier « la dure et simple existence de là-haut », au milieu donc des montagnes et de quelques paysans, et un lieu d’écriture. C’est d’ailleurs là qu’il a écrit une grande partie de son plus fameux livre, Être et Temps.

La « cabane » de Heidegger par lui-même 

Voilà comment Heidegger a décrit sa cabane, ainsi que son environnement  naturel et son rapport à cet environnement en lien avec son travail philosophique, dans un texte publié, pour la première fois en France, par le Magazine Littéraire, dans son numéro de novembre 1986 :

« Sur le versant abrupt d’une haute et grande vallée du sud de la Forêt-Noire, il y a à 1150 mètres d’altitude un petit chalet de ski. Il mesure en tout six mètres sur sept. Le toit bas abrite trois pièces : la cuisine qui sert aussi de pièce principale, la chambre à coucher et un cabinet de travail. Dispersées dans le fond étroit de la vallée et sur le versant opposé pareillement abrupt, les fermes aux grands toits en surplomb s’étalent largement. Le long du versant, les prairies et les pâturages montent jusqu’à la forêt de vieux sapins altiers et sombres. Sur tout cela règne un clair ciel d’été et dans son espace radieux deux éperviers s’élèvent en décrivant de larges cercles.

C’est là mon monde de travail – vu par les yeux contemplatifs de l’hôte de passage et de l’estivant. Moi-même je ne contemple à proprement parler jamais le paysage. J’éprouve son changement d’heure en heure, du jour à la nuit, dans le grand cycle des saisons. La pesanteur des montagnes et la dureté de leur roche primitive, la croissance prudente des sapins, la splendeur lumineuse et sans apprêt des prairies en fleur, le murmure du torrent dans la longue nuit d’automne, la sévère simplicité des étendues profondément enneigées, tout cela s’insinue, se presse et vibre dans l’existence de tous les jours là-haut.

Non pas pourtant dans les instants voulus d’immersion dans la jouissance et l’identification artificielle, mais seulement lorsque l’existence qui m’est propre est à son travail. Le travail seul ouvre l’espace à cette réalité de la montagne. La marche du travail demeure enchâssée dans l’avènement du paysage.

Lorsque dans la profonde nuit d’hiver une violente tempête de neige déchaîne ses rafales autour du chalet, recouvrant et dissimulant tout, c’est alors le grand temps de la philosophie. C’est alors que son questionnement doit devenir simple et essentiel. L’élaboration de chaque pensée ne peut être que dure et tranchante. L’effort que requiert la frappe des mots est semblable à la résistance des sapins se dressant contre la tempête.

Et le travail philosophique ne se déroule pas comme l’occupation à part d’un original. Il a sa place au beau milieu du travail des paysans… »

DIAPORAMA SUR LA CABANE DE HEIDEGGER À TODTNAUBERG