J’ai décidé de consacrer une bonne part de l’année 2025 à l’écriture d’un livre sur l’anthroposophie et la médecine anthroposophique. Histoire de mettre les points sur les « i » face à l’ignorance, la désinformation et les polémiques en ces temps de matérialisme triomphant. En voici un extrait où il est question de l’architecture organique.

Goetheanum

« Pour qu’un bâtiment soit beau, il doit posséder une symétrie et des proportions parfaites comme celles qu’on trouve dans la nature. »

Vitruve

Lors de la deuxième révolution industrielle – reposant fortement sur le machinisme –, la civilisation occidentale est entrée dans une logique de rationalisation et d’uniformisation de l’espace. C’est ainsi que les lieux de vie et de travail des hommes ont pris leur distance vis-à-vis de la nature, tout en devenant de plus en plus déshumanisés. Conscient de cette rupture, Rudolf Steiner a mené une reflexion pour proposer une alternative concrète.

Pour le fondateur de l’anthroposophie, l’architecture est une expression artistique qui se doit d’être dans le prolongement de la nature. Qui doit même, au-delà de ne pas perdre son lien avec le monde du vivant, s’inspirer des forces créatrices qui y sont à l’œuvre, jusqu’à saisir les énergies et  mouvements qui ont donné naissance aux multiples formes qui le composent. Et ce, afin de créer des espaces dans lesquels les hommes se sentent en harmonie.

De façon concrète, cela se traduit par une multiplicité d’angles, de courbes, de lignes brisées, d’ouvertures, sans oublier les couleurs, toutes aussi essentielles que les formes. Il s’agit d’une architecture où se joue un jeu complexe de polarités entre concavité et convexité, dedans et dehors, légèreté et pesanteur… Une architecture qui déborde la rigidité de l’espace euclidien, car en affinité avec la nature où la ligne et l’angle droits n’existent pas, où rien n’est parallèle ni symétrique. Pour la bonne raison que le monde du vivant n’est pas uniquement soumis aux forces terrestres mais également cosmiques. 

C’est de cette polarité que naissent les formes naturelles, organiques, sans cesse en métamorphose. D’où cette architecture dite « organique » qui s’en inspire.

Steiner a pu mettre en pratique cette approche à travers la construction d’un bâtiment ayant pour vocation d’être le centre de l’anthroposophie. Sa construction démarre en septembre 1913 à Dornach, au sud-est de Bâle, en Suisse. Des architectes, sculpteurs, peintres et artisans de dix-sept pays y contribuent. Fini en 1920, le Goetheanum – baptisé ainsi en référence à J.W. Goethe – se présente sous la forme d’une structure en bois, coiffée de deux coupoles. L’intérieur recèle des peintures murales, des fresques aux plafonds, des sculptures… Une œuvre d’art totale qui, malheureusement, se voit réduite en cendre par un incendie criminel lors de la nuit de la Saint-Sylvestre 1922/1923.

Bien que profondément affecté, Steiner souhaite bâtir un nouveau Goetheanum. Il achève sa maquette en mars 1924, mais meurt au moment où ses fondations sont à peine achevées. Cette fois, le bâtiment n’est pas en bois mais en béton armé. Sa construction brute est finie en 1928, et sera complétée au fil des décennies. Cet édifice monumental abrite deux grande salles de mille et quatre-cent-cinquante places, des espaces de réunion et d’exposition, des bureaux, une librairie, une cafétéria… Au-delà d’être le siège de la Société anthroposophique universelle, des milliers de visiteurs s’y rendent chaque année pour y voir des spectacles (théâtre, eurythmie, concerts), assister à des manifestations (ateliers, conférences, colloques) ou simplement pour le visiter.

Situé sur une colline, le Goetheanum est entouré d’une quarantaine de bâtiments du même style architectural, comme la maison Duldeck, devenue le siège des Archives Rudolf Steiner, la Chaufferie ou encore la Glashaus – anciennement l’Atelier du vitrail, qui abrite aujourd’hui la Section des sciences naturelles et la Section d’agriculture.

À la même époque, certains architectes partagent la même démarche que Steiner. À l’exemple du Catalan Antoni Gaudí, le créateur de la Sagrada Família, qui considérait la nature comme « un grand livre, toujours ouvert, qu’il faut s’efforcer de lire ». Le mouvement Art nouveau trouve également sa source d’inspiration dans la nature, à l’image d’Hector Guimard et de ses bouches de métro parisiennes.

Par la suite, d’autres suivront cette impulsion. Notamment l’artiste Autrichien Friedensreich Hundertwasser, qui s’est insurgé contre la ligne droite et concevait l’habitat comme la troisième peau de l’homme – après son épiderme et ses vêtements. Il est à l’origine de nombreuses constructions à caractère fortement écologique : La Hundertwasserhaus à Vienne et le Village thermal de Bad Blumau en Autriche, la Citadelle verte à Magdebourg en Allemagne… L’un des plus célèbres architectes américains, Frank Loyd Wright, a lui aussi intégré cette dimension organique, comme en attestent certaines de ses réalisations et son engagement holistique : « L’architecture organique n’est ni un style, ni un engouement ou une mode ; il s’agit d’un véritable mouvement qui se fonde sur la vision d’une nouvelle intégrité de la vie humaine, où l’art, la science et la religion ne font qu’un. » À Milan, le Bosco Verticale – une « Forêt verticale » composée de deux tours arborées –, conçu par Stefano Boeri avec l’aide d’horticulteurs et de botanistes, est un autre exemple récent de cette architecture.

Si bien qu’à l’heure de l’urgence écologique et de la déshumanisation croissante de nos sociétés, ces quelques exemples sont véritablement une invitation à créer des lieux de vie qui soient autres choses que des « machines à habiter », pour reprendre l’expression de Le Corbusier, afin de renouer une relation saine et harmonieuse avec la nature, d’être en accord avec nous-mêmes. Tel est l’enjeu de l’architecture organique initiée par Steiner.

DIAPORAMA SUR LE GOETHEANUM ETAUTRES 

Le Goetheanum et la colline de Dornach,  la Sagrada Família d’Antoni Gaudí et l’escalier hélicoïdal du musée Unterlinden à Colmar

CAROLINE ET LE VITRAIL ROUGE