
« Entrer en dialogue avec les Grecs nous suppose devenus capables d’entendre la parole grecque d’une oreille grecque, ce qui suppose à son tour une problématisation des champs d’écoute à l’intérieur desquels seulement ces objets historiques que sont devenus les mots de la langue grecque – ces mots pouvant être tout aussi bien des temples ou des statues – risquent de redevenir Parole. En d’autres termes, il ne s’agit plus seulement de traduire, c’est-à-dire de ramener les Grecs jusqu’à nous, mais bien de nous traduire devant eux, c’est-à-dire de nous dépayser de ce qui, pour nous, va de soi dans le domaine d’une vérité devenue autre. »
Jean Beaufret – Préface du livre Essais et conférences de Martin Heidegger
Depuis 1952, le château de Cerisy-la-Salle, en Normandie, accueille le CCIC (Centre Culturel International de Cerisy), animé par l’Association des Amis de Pontigny-Cerisy, qui poursuit le travail initié par l’intellectuel Paul Desjardins au début du XXe siècle à l’abbaye de Pontigny (voir l’article Les Décades de Pontigny).
Aussi, les murs de ce château du XVIIe siècle, au cœur de la Manche, ont vu défiler quelques centaines de colloques et des sommités du monde culturel n’ayant rien à envier à ceux de Pontigny ; à savoir Raymond Queneau, Francis Ponge, Eugène Ionesco, Philippe Sollers, Michel Foucault, Roland Barthes, Gilles Deleuze, Jacques Derrida, Paul Ricœur ou encore Martin Heidegger.
Du 27 août au 4 septembre 1955 s’est en effet déroulé un colloque autour d’Heidegger, avec une cinquantaine de participants, au château de Cerisy-la-Salle.
Ce colloque était à l’initiative de Jean Beaufret, qui a fait beaucoup pour la reconnaissance du penseur de la Forêt-Noire en France. Les deux hommes se sont rencontrés pour la première fois, par l’entremise de Frédéric de Towarnicki, en septembre 1946 à Todtnauberg. Ce fut le début d’une longue amitié ; Heidegger trouvant en Beaufret un intellectuel brillant avec qui dialoguer – de ce dialogue provient notamment Lettre sur l’humanisme.
La conférence inaugurale donnée par Heidegger à Cerisy a pour titre : Qu’est-ce que la philosophie ? – Beaufret et le philosophe d’origine grecque Kostas Axelos ont, par la suite, traduit et publié ce texte chez Gallimard.
Un question qui, au premier abord, peut paraître surprenante, pour une discipline datant de l’époque archaïque grecque, et de la part d’un philosophe qui y a consacré sa vie. Mais Heidegger aurait pu faire sienne cette phrase de Paul Valéry : « Penseurs sont gens qui re-pensent et qui pensent que ce qui fut pensé ne fut jamais assez pensé. » Et comme le philosophe allemand s’interrogeant lui-même en interrogeant ses auditeurs, il s’agit aussi pour chacun d’entre nous de nous re-poser cette question : Qu’est-ce que la philosophie ? Pour ma part, j’ai fait le choix de me la re-poser sous une forme propre aux présocratiques, qu’Heidegger affectionnant tant, qui est la forme du poème didactique – selon la formule consacrée.
Un poème didactique donc, en quatre parties (Le Chemin, Le Miroir, L’Arbre, La Parole) ; qui se veut une tentative de marche interrogative dans les pas du chemin ré-ouvert par Heidegger, dont l’empreinte première se situe dans la Grèce antique et ses penseurs/défricheurs ; jusqu’à notre « ère atomique » qui s’est constituée sur cette empreinte.
Un poème didactique intitulé Mon Heimat chez les Grecs, dont la première partie (Le Chemin) fera l’objet du prochain article…
DIAPORAMA SUR LE CHÂTEAU DE CERISY-LA-SALLE